Le mélézin en Queyras

Un pionnier bien généreux. Malin comme un mélèze.

Parmi les plus réputés des Alpes, le mélézin queyrassin est d’une beauté rare. Suite à l'exode rural, il est en expansion seulement depuis un siècle. Ses immenses sous-bois lumineux accueillent une flore et une faune nombreuses. Et nos jeux alpins depuis peu. Mais sait-on assez que, s’il est encore là, c’est par l'improbable association de deux bandes de bienfaiteurs : le clan des avalanches et celui des bergers. Sans le pastoralisme traditionnel qui entretient les sous-bois, il n’y aurait de mélézin que sur le trajet des avalanches ou des éboulis. Au total, infiniment moins que ce qu’on observe aujourd’hui. Seul épineux à perdre ses aiguilles, stratégie hivernale maline pour éviter de transpirer quand l'eau du sol, gelée, est indisponible, le mélèze est une « espèce de lumière ». « Les pieds dans l'eau, la tête au soleil », il monte en flèche vers le ciel, sur un sol raboté qui ne le dérange pas, bien au contraire : c'est un rude généreux. Il ne sait pas pousser sous une autre espèce, pas même sous son propre ombrage. D’où l’écartement des individus. Il a même la générosité de reconstituer en son sous-bois un lit douillet d'épines qui accueillent pelouses, arbustes, puis d'autres conifères qui, pour le remercier, finissent par le déloger.

Mais alors, comment expliquer que le mélèze perdure en Queyras ? « Les anciens voyaient de multiples avantages aux mélézins, explique Simon Brochier, garde forestier. Tout d’abord, son bois imputrescible, le plus dur des résineux, en faisait une essence précieuse pour la menuiserie. Ensuite, dans son sous-bois clair, l’herbe pousse, offrant un terrain de pâture protégé pour les troupeaux. Entre les animaux qui broutent et piétinent et les bergers qui coupaient tout ce qui n’avait pas la tête d’un jeune mélèze, voilà comment l’homme a retardé sa colonisation. Observez les ubacs raides et difficiles d’accès : ils ont, de longue date, perdu une partie de leur mélézin. »

Pour les communes, une forêt rapporte trois fois plus qu’elle ne coûte. L’Office National des Forêts y pratique de vastes trouées pour apporter de la lumière au sol, puis en effectue le décapage artificiel. C’est la seule solution pour régénérer la forêt de mélèzes, sinon la graine ne germe pas. Ainsi le mélézin est-il un paradis contemporain pour la balade ou le ski : un slalom naturel qui garde la neige fraiche et réduit (un peu) le danger d’avalanche. Mais il est d’abord l’habitat et le refuge de très nombreux animaux qui y trouvent couvert et logis. Animaux que l’on détecte mal l’hiver, car ils se terrent, tentant d’économiser la moindre calorie. Souvent, nous les dérangeons sans même nous en apercevoir. Il est essentiel par conséquent de le mieux connaître, pour s’y promener en conscience et alléger notre impact.